Dans la tradition musulmane, on dit que le paradis, Jannat, se trouve sous les pieds de sa mère. La poésie ourdoue l'évoque souvent dans ses vers, comme dans les textes du poète Gulzar dans la chanson "Chayan, Chayan" du film Dil Se:
"Jinke sar ho ishq ki chaaon/ Paon ke neeche jannat hogi"
Ceux dont la tête est dans l'ombre de l'amour/ Trouveront le Paradis sous leurs pieds"
Sous nos pieds? Pour moi, il est entre les oreilles.
Au cours de mes navigations et explorations sur le grand océan virtuel, j'ai fait une heureuse découverte muscicale que je souhaite partager avec vous aujourd'hui. Vous connaissez probablement la célèbre émission "Unplugged" de la chaîne musicale MTV, qui permet aux artistes invités de présenter leur répertoire en version "débranchée", c'est-à-dire accoustique, et de faire quelques expérimentations auxquelles leur public n'est pas forcément habitué. Mâtinez-là d'une ambiance "Théâtre de La Ville" de Paris (où se produisent chaque année d'excellents artistes traditionnels venus d'Asie du Sud) et vous obtiendrez "Coke Studio", programme musical pakistanais époustouflant.
Produit par l'artiste et musicien Rohail Hyatt, l'émission se présente comme "une fusion musicale d'éléments et d'influences diverses, allant de la musique traditionnelle à la musique contemporaine occidentale avec des touches de musique régionales. En proposant des enregistrements de prestations originales, Coke Studio donne vie à la magie de la musique et transcende avec bonheur les barrières entre les genres pour mieux célébrer l'unité et instiler une certaine fierté pakistanaise." L'émission a été lancée comme son nom l'indique par la célèbre boisson à bulles, mais n'y pensez pas, car le concept de l'émission est vraiment à l'opposé de l'image qu'on se fait de la marque rouge.
Cette année est la deuxième saison de l'émission, qui distille tous les quinze jours pendant l'été à la TV pakistanaise et sur son excellent site web les prestations d'artistes pop, rock et traditionnels. Je vous encourage vivement à l'explorer au plus vite: tous les artistes y sont présentés, et leurs prestations sont visionables et téléchargeables en vidéo comme en mp3. Les coulisses (Behind The Scene) ou plutôt devrais-je dire les cuisines de chaque chanson sont également très intéressantes à visionner (en Hindglish of course!).Quatre épisodes à la thématique distincte (Individualité, Harmonie, Equité, Spritualité) ont déjà été diffusés, le dernier (Unité) le sera ce vendredi, jour de la fête nationale Pakistanaise: tout un symbole!
C'est un véritable délice à écouter, et un bonheur à regarder, l'enthousiasme des différents artistes étant furieusement contagieux. Je souhaite vous présenter ici quelques uns de mes coups de coeurs qui ont été difficiles à sélectionner étant donnée la qualité générale des prestations.
Mon premier choix s'est porté sur Kinara d'Atif Aslam, jeune chanteur-compositeur de Lahore qui est sans doute aujourd'hui la "rock-star" la plus populaire au Pakistan depuis l'immense succès de sa chanson "Aadat" que je vous ai présenté ici. Cette chanson m'avait renversée à la première écoute, et ce n'est pas tous les jours que ça arrive. Voix extraordinaire, textes universels et sens de la mélodie indéniables. Kinara elle est une chanson extraite de son dernier album sorti en 2008, qui évoque les effets secondaires de la célébrité qui placent l'individu "en marge" (kinara) de la vie normale. Ce qui est intéressant dans cette prestation c'est la rencontre avec le chanteur classique Riyaz Ali Khan, l'hommage au poète Amir Khusrau et Nusrat Fateh Ali Khan (Man Kunto Maula) ou Abida Parveen (Zahid ne) et les ruptures de rythme. Le résultat est dynamisant à souhait...
(A noter, à 3'42 min, l'échange entre le chanteur et le "tonton" violoniste qui tente d'esquisser un sourire tout en restant concentré sur son violon. J'adore...)
Ensuite, j'ai eu un mal fou à me décider sur le choix de la chanson d'Ali Zafar à vous présenter, "Dastaan-e-Ishq" et "Yar Daddi" étant toutes deux somptueuses. Bon, le principe de l'émission étant la fusion musicale, j'ai opté pour "Yar Daddi", mais je vous encourage vivement à découvrir l'autre sur le site. Coke Studio a été pour moi un tournant dans l'idée que je me faisais de Monsieur Ali . J'avoue que je le percevais alors comme le Ricky Martin du Pakistan (si des fans passent par là, je vais me faire tuer ;-)). Ex-mannequin au brushing impeccable, sourire étincelant et toujours entouré dans ses vidéos de jolies pépettes, les chansons disco-pop à nappage oriental du "Prince de la pop pakistanaise" sont certes très pétulantes, mais pas forcément ma tasse de chaï. Sa voix sourde évoquant les chanteurs pop turcs (ne me demandez pas pourquoi) ne trouvait pas non plus beaucoup d'écho en moi non plus, jusqu'à ce que je découvre son étonnante versatilité. Chanson traditionnelle de langue saraiki (langue parlée au Sud du Penjab, apparentée au Penjabi et à l'Urdu/Hindi), "Yar Daddi" compare l'amour (ishq) à un feu (aatish) qui dévore, rend fou mais que rien ne peut éteindre. Ce qui est séduisant dans cette réinterprétation, c'est la touche "flamenco", comme un écho des sources de la fameuse tradition andalouse. On considère en effet que le flamenco est un apport indien via les gitans venus il y a très longtemps d'Asie du Sud. Et la flûte, et la flûte! Le résultat est irrésistible!
Ensuite, voici les cousines Zebunnisa Bangash (chanteuse) et Haniya Aslam (guitare, composition et chant), connues sous leur nom de scène Zeb and Haniya. Originaires de la région Nord-Ouest du Pakistan (celle des peu sympathiques rebelles without-a-cause barbus) mais aujourd'hui basées à Lahore, elles ont commencé à jouer ensemble lors de leurs études aux Etats-Unis, dans leur résidence universitaire. Après le succès rencontré par leur premier single "Chup" (Silence), elle ont inlassablement donné concert sur concert dans les principales métropoles du Pakistan où elles ont gagné une notoriété croissante, qui a très vite été relayée dans les princpaux médias: radio, télévision, presse, en Inde, au Pakistan mais aussi dans les mediasintenationaux comme la BBC world ou le Newsweek international. La chanson "Chal Diyay", extraite de leur premier album "Chup" sorti en 2008 est ici interprétée en trio avec le chanteur classique Javed Bashir. Sa voix complète magnifiquement celle de Zeb et le résultat est enchanteur et apaisant à merveille:
L'énigmatique Saieen Zahoor est un chanteur de tradition soufi qui est né vers 1945 dans une famille de petits paysans de la région du Penjab. Analphabète mais passionné dès l'âge de 5 ans par la musique et le chant, il dit avoir quitté sa famille dès 13 ans pour parcourir les différents lieux de pélerinage Soufi, pour y chanter, rien qu'y chanter son amour mystique pour Dieu. Remarqué par le bouche-à-oreille, ou plutôt le oreille-à-bouche, il ne sort son premier enregistrement qu'en 2006 qui sera alors récompensé par la prestigieuse récompense "voix BBC de l'année" dans la catégorie Wolrd Music. Je serais bien incapable de vous décrire sa voix, alors je vous laisse l'écouter. Notez le châtoyant costume et le singulier instrument tout aussi chamarré, qui s'appelle le tumbi.
Enfin, je vais passer du coq à l'âne en vous présentant Noori (Lumière). N'y voyez aucunement une comparaison péjorative: c'est juste que si l'artiste présenté précedemment ne sait ni lire ni écrire, les deux frères de Noori, Ali Noor et Ali Hamza sont respectivement avocat et diplômé de l'HEC pakistanaise. Deux univers se rencontrent donc dans la chanson "Aik Alif", deux Pakistan, mais unis autour de la passion de la musique, et cette unité fait plaisir à voir et à entendre. Harmonie encore plus parfaite si l'on note par ailleurs que le formidable batteur de Coke Studio et ex-membre de Noori, Louis Pinto (la crevette survitaminée dans son aquarium ;-)), est comme son nom l'indique de confession chrétienne. C'est cependant une autre prestation de Noori que j'ai choisi de vous présenter, plus représentative de l'univers personnel du groupe de rock parmi les plus populaires aujourd'hui dans le pays, et qui a aujourd'hui trois album à son actif. "Jo meray" extrait du second album, est une chanson pop-rock à la mélodie et à la rythmique particulièrement efficace: la touche de sitar apporte une note enchanteresse à l'ensemble.
En attendant la prochaine édition, je vous invite à découvrir les autres prestations et artistes que je n'ai pas mentionné ici (ma présentation n'est point exhaustive). Profitons également de ce jour pour souhaiter au Pakistan un "Azaadi mubarak", une joyeuse fête de l'indépendance et surtout un avenir fait d'unité dans la liberté et la paix.